Depuis plusieurs années, j’ai entrepris un travail de collecte de paroles auprès de personnes qui acceptent de témoigner de la transmission via un objet dont elles racontent le legs, l’histoire. Ces rencontres ont donné naissance à des cahiers plastiquement en lien avec leur contenu. Ces ouvrages sont là, à disposition, pour témoigner de l’humain dans ce qu’il a de particulier et d’universel: gestuelle, pensée, cruauté, beauté…

 

L’installation présente s’est resserrée autour d’histoires qui se sont déroulées dans la période 39-45. 

 

Histoire 1: celle de mon vieil ami Gilbert Weil, arrêté par la Gestapo à Lyon place Bellecour, en mai 44, déporté à Auschwitz à l’âge de 23 ans jusqu’en mars 45 parce que Juif. C’est la première fois que Gilbert fait entendre sa voix.

Histoire 2: Marie et Camille, 2 soeurs, jeunes femmes émancipées vivant en 39 dans un petit village près de Nantes. Cheveux courts, motardes, musiciennes toutes 2 comme on peut l’être dans une famille où tout le monde joue d’un instrument d’une manière ou d’une autre. Chacune tombe amoureuse d’un soldat allemand de la Force ennemie. Tondues, lynchées en 45 par la vindicte populaire. L’histoire arrive par l’entremise d’un chandelier de piano…

Histoire 3: Olivier Tric a 8 ans quand il assiste bien malgré lui à la tonte d’une jeune femme sur le chemin de l’école. Presque 70 ans plus tard, le souvenir en est encore cuisant. Et c’est un flot de larmes irrépressibles qui lui coule systématiquement des yeux à son évocation. 

Histoire 4: Marguerite dite « la Veuve Bodiguel » femme aimante d’Yves Bodiguel, héros national, cofondateur du mouvement de résistance Libération-Nord en Loire Inférieure. Arrêté par la Gestapo en mai 44 dans son usine du Carnot à Nantes où il était syndicaliste. Déporté au camp d’extermination de Neuengamme au nord de l’Allemagne jusqu’en mai 45. Mort 2 jours après la Libération du camp sous les bombes anglaises suite à une marche de la mort. Dégât collatéral diront les Anglais…

A 32 ans Marguerite qui vient d’accoucher du 5 ème petit en l’absence du père tant aimé lui écrit des lettres d’amour et d’angoisse. Faute d’adresse, elles ne lui parviendront jamais et resteront consignées dans ce petit cahier d’écolier où l’encre violette par endroit a coulé comme coulent les larmes du chagrin, de la fatigue, de l’ inquiétude.C’est par le fils, Yves Bodiguel dit « Ti T’Yves », 75 ans, qu’elles nous sont arrivées.

 

En ces temps tourmentés de guerre qui font se presser des milliers d’enfants, de femmes, d’hommes au péril de leurs vies aux portes de chez nous, appréhender ces histoires d’une période passée tout aussi tragique peut redonner la mesure de nos jours.

 

Je vous laisse découvrir ces histoires de vies cousues au fil rouge. Vous en entendrez peut-être d’autres, innombrables, bruire dans le sillon des robes faites de milliers de boutons glanés deci celà, qui à leur manière, témoignent aussi de l’intime de chacun…

 

                                                                                          Marie AUGER, octobre 2015