Description du projet

Olivier Tric est né à Réole (33), le 7 mai 1936.

En mars 2009, il est venu à l’exposition que je présentais à la galerie du Rayon Vert à Nantes sur les femmes tondues à la Libération. J’avais recueilli dans mon atelier un témoignage qui fut à la source du travail engagé en littérature, histoire et arts plastiques.

Au cours du vernissage, Olivier a beaucoup pleuré, ne comprenant pas dans un premier temps l’origine de son chagrin. Puis les souvenirs sont venus. Et Olivier est venu dans ma maison pour raconter.

Les pages présentes, il les a écrites. Les mains ce sont les siennes.

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            Merci à lui pour la parole déposée et la confiance accordée.

                                                                                                     Marie Auger, mars 2012

 

 

« En ce qui concerne notre entretien, j’ai été tout à fait stupéfait de mon comportement le jour du vernissage. Votre travail m’a fait remonter des trucs. J’avais du mal à ne pas pleurer me disant : »pourquoi tu pleures ? Pourquoi ça t’émeut à ce point-là ? »

Ca fait remonter des choses sans doute (…) C’est vécu au niveau de l’enfance.

 

C’était en 43 ou 44. C’est-à-dire que j’étais en neuvième je crois. A Montauban. Et donc mes souvenirs sont complètement partiels. Bien que les choses fortes me restent. Des images fortes. Je peux vous raconter. Le lieu où j’ai vu les pendus et cette femme assise sur un tabouret en train de se faire tondre.  Le lieu était particulier. C’était le même lieu.

 

C’est au  même endroit à un retour de classe à la Libération que j’ai vu…

 

(pleurs)

(…)

Peu de temps avant que mon père ne revienne. Peu de temps avant le débarquement. Montauban devait être libérée. Au retour de l’école. Là j’étais seul. Je n’ai pas le souvenir qu’il y ait eu mon frère. J’ai vu un attroupement au même endroit. J’ai cru qu’il y avait encore un pendu. Mais non. Il y avait beaucoup de monde en cercle. Je me suis faufilé.

 

Et j’ai vu une femme dont le visage était terrorisé.

 

Une femme. Une belle femme.  Jeune. En même temps une espèce de révolte intérieure. Je ne sais pas. La peur et en même temps elle serrait les dents. Une résistance. Cette personne m’a fasciné. Je me rappelle. On lui avait tiré vers le bas une sorte de corsage ce qui fait qu’on voyait ses épaules.

 

ET ON LA TONDAIT.

 

J’ai été stupéfait. Pourquoi on tond une belle femme ? Enfin une femme. Je suis resté un moment là. Je devais avoir une tête ahurie parce qu’il y a une dame  qui s’est approchée et qui m’a dit : « Allez va. Retourne. Ta mère doit t’attendre. » Un truc comme ça. J’étais déboussolé. Je me suis laissé faire. Et j’arrive chez moi. …

(pleurs)

 

(…)  Pourquoi ? (…) pleurs.

 

Je trouve ma mère assise sur une chaise. Elle aussi en train de pleurer. Peut-être j’ai cru qu’on allait la tondre. Je ne sais pas. Ca m’a stupéfait. Elle était dans cette pièce un peu sombre du salon. Je me suis approché d’elle. « Mais qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu as ? » Elle me dit : « Rien du tout rien du tout. Va jouer va jouer. » Et moi j’étais complètement bouleversé. Et en même temps stupéfait. J’ai pas compris pourquoi elle pleurait. Et puis elle m’a poussé dans le jardin. 

 

Voilà.

 

Trop de violences. Je pense que ma mère était écartelée. Elle savait ce qui s’était passé. Ca s’est montré après. Quand mon père est arrivé, ils en ont en parlé. J’étais dans la pièce d’à côté. J’ai entendu ma mère parler de ça. Je ne me rappelle plus ce qu’elle disait. Mais elle parlait de ça.

 

Le ton était celui d’une femme humiliée, révoltée.

 

Quelque chose que je ne lui ai jamais connu. Je ne l’ai jamais entendue avec ce ton-là sauf quand il y a eu les grandes révoltes de femmes. Plus tard. Quand elle était très active au planning familial et à la Maternité heureuse (c’était l’association créée par la docteure Lagroua Weill-Hallé qui est devenu ensuite le planning familial).  

 

J’ai le souvenir que mon père se défendait un peu. Qu’il était en retrait par rapport par apport à ce qu’elle disait.

Je me rappelle ses poings à elle.

C’est en faisant ça que je les retrouve. ( geste d’Olivier les poings serrés)  Mon père trouvait peut-être que ça faisait partie de la  Nécessité. (…)

 

Je n’en ai jamais  parlé avec ma mère. Jamais. Jamais. Non.

 

Pourtant c’est quelque chose. Ca doit jouer un rôle dans l’attitude que j’ai vis-à-vis des femmes.

 

J’ai le souvenir de cette femme ma mère qui avait une révolte très profonde et forte. Elle ne hurlait pas. Elle avait des convictions profondes qui s’exprimaient.

 

C’est resté enfoui ce souvenir. Avec votre travail j’ai eu l’impression que c’était un monde enfoui qui ressurgissait. Pourquoi on n’en parle pas ? Ca  a été un choc. Un vrai choc.

                                                                                       Olivier Tric, Nantes 2009