numérisation0001   LES LETTRES DE MARGUERITE

De son père disparu en 1945 dans l’eau glacée du port de Lübeck Yves se souvient du drap tendu sur le balcon de l’appartement rue de Bel Air au dessus du marché Talensac à Nantes. Il avait 5 ans. Toute son attention était alors prise par le spectacle de marionnettes qui se jouait sous ses yeux d’enfant rêveur enclin à croire aux histoires merveilleuses contées par cet homme aimant et immortel, son père. Yves ne se souvient pas du jour de la disparition brutale, instantanée du père , arrêté par la Gestapo à son usine de Chantenay en avril 44. Syndicaliste résistant il fut déporté. Expédié au camp de Neuengamme. Allemagne.

La mère, elle, écrit la douleur. Elle a 32 ans. Elle porte le cinquième enfant de la famille qui naît en l’absence de l’époux disparu le 3 juin 44. Elle ignore à ce moment là où on lui a envoyé son homme. Alors pour tenir elle lui écrit le soir: « Mon Yves bien-aimé » quand les petits sont couchés, après avoir donné le biberon à Daniel le petit dernier qui vient de naître, après avoir encore rassuré Jacqueline la cadette qui demande « quand papa rentrera? » et sûre d’elle: « il-m’apportera-une-poupée. »

Elle lui écrit en septembre 44 des lettres d’amour, d’inquiétude, de chagrin, d’épuisement, d’espérance et de désespoir mêlés, des lettres qui disent la peur de rester seule « je ne peux pas croire que je ne te reverrai plus et souvent pourtant je pense à ma vie si je venais à te perdre, quelle vie! avec mes cinq petits! » L’écriture est forte sans fard. Elle donne l’illusion du partage.

Jeudi 14 septembre 1944  » Liras-tu ces lignes que j’écris pour toi… » 

samedi 4 mars 1950 « Tu n’as jamais lu les pages écrites pour toi au début de ce cahier. »

 

6 ans ont passé. Et la mort entre les lignes.

Les lettres de Marguerite, Yves ne les lira jamais. Elles resterons enfermées dans un modeste cahier où l’encre a coulé en même temps que les larmes.

L’ironie du sort. Yves Bodiguel meurt le 3 mai 1945 sous les bombes anglaises quelques jours après la libération du camp, la marche de la Mort, l’espoir d’en sortir vivant…

Broder les mots de la mère sur le tissu de lin blanc comme une modeste tentative d’enfin les faire s’envoler aux oreilles du monde, des hommes, des dieux peut-être. Donner forme dans la terre d’aujourd’hui, dans l’image mobile du film à l’absence de l’époux et du père pour sentir sur soi, un peu, le poids du feu et de la mitraille, les impacts à perpet sur la femme, la mère, les enfants, les petits enfants. Se retrouver une fois de plus les bras ballants, le souffle amer. Puis se remettre en mouvement au nom du père au nom de la mère au nom des petits pour que ceux d’après sachent et espérer encore une fois que le coeur le nôtre grandisse. 

Marie AUGER 18 avril 2015

 

du 1er au 31 juillet 2015  installation de sculptures sur l’île d’Errand Saint Malo de Guersac. ouverture d’un nouveau lieu d’art singulier

octobre 2015:  

du 8 au 23 octobre:  participation à la Biennale Hors les Normes de Lyon « intime-extime » des histoires de vie « de fil en aiguilles… »

du 9 au 19 octobre: « Et pourtant la vie, toujours aussi belle… »

Hommage rendu à Nantes à Etty Hillesum, jeune femme juive hollandaise morte à Auschwitz à 27 ans le 30 novembre 1943. pièce de théâtre, chants yiddish, installation plastique, conférences…

                          – installation « Etty Hillesum » au CCAN (centre culturel juif de Nantes) d’après le livre « Une vie bouleversée » suivi de « lettres de Westerbork » . Magnifique  journal écrit à Amsterdam de 1941 à 1943 par  Etty Hillesum. Document  extraordinaire d’où se dégage une incroyable foi en l’humain et en la beauté du monde envers et contre tout dans ces pires années de la guerre pour la communauté juive. 

« Je sais déjà tout. Et pourtant je considère cette vie belle et riche de sens. A chaque instant. » 

-installation de sculptures, broderies, toiles, encres

 

1er décembre 2015 au 31 décembre 2015   exposition à la galerie coréenne  TRES à Nantes