De tout il resta trois choses :
la certitude que tout était en train de commencer,
la certitude qu’il fallait continuer,
la certitude que cela serait interrompu avant d’être terminé.
Faire de l’interruption un nouveau chemin
Faire de la chute un pas de danse
faire de la peur un escalier,
du rêve,  un pont,
de la recherche …
une rencontre.

Fernando Tabares Sabino

 

Pendant ce long temps de repli, 3 gestes mobilisèrent mon travail de création: le tissage, la gravure, le grattage.

Je vécus le tissage comme un moyen d’évidence de s’accorder à l’autre, soudain interdit, par la force du fil et de l’imaginaire. Durant ces mois d’interruption de la marche réelle, j’ai réalisé 2 tissages de 4 mètres sur 3 chacun, soit 24 m2 de surface pour le rêve, moyennant plusieurs kilomètres de laines et autres fils. Si je déroulais l’ensemble des fils utilisés, je pourrais faire une quinzaine  de kilomètres, me rendre à Clisson et m’y promener encore. Tous ces fils noués ensemble m’ont tenu en respiration pendant les périodes de privation de liens vécus. Ils ont permis la traversée de l’étrange désert et donné un sens à cette latence imposée.

Puis vint la gravure. J’avais déjà vécu la nécessité de graver lors de mon précédent travail sur les camps d’internement français pour nomades de la seconde guerre mondiale. J’avais collecté des myosotis dans les différents camps découverts et filmés et je les avais empreintés dans la terre pour faire fossile, inscrire les faits de façon ferme, prolongée, indéniable dans notre champ de vision et nos imaginaires. Pour l’heure souhaitant honorer le retour de l’en aller possible à travers chemins et coteaux, j’ai cueilli entre les pieds de vignes des fleurs simples de l’alentour. J’ai eu besoin d’ inscrire dans le grès pour m’en souvenir toujours, la joie éprouvée à la cueillette, la beauté simple et nécessaire de la pâquerette, de l’herbe folle, du myosotis .

Le geste  de graver prit aussi une autre voie: je découvris les joies de la matière qu’on gratte, qu’on retire pour faire émerger l’image. Cette fois c’est la figure humaine qui vint s’encrer en surface de papier , révélant encore une fois l’ ancrage salvateur : l’essentiel de nos liens à l’autre, au monde, aux passés, aux demains. Par delà  les doutes pouvoir s’émerveiller encore d’en être de ce monde-là. Que ça vaut le coup bon sang!

Finalement  la main s’est mise à gratter à la surface d’anciennes toiles. Que cherchait-elle là? La réponse fut donné lorsqu’apparurent dans les sous couches parfois sombres, des myriades de confettis colorés porteurs d’anciens récits, d’anciennes lumières.  Ceux-là me firent un bien fou aux yeux et à la tête.

Je vous les lance aujourd’hui pour que la fête revienne, pour que couverts de ces couleurs nous reprenions la route, enrichis de l’expérience vécue.

Marie AUGER