Ils étaient 3 petits enfants juifs nés dans les années 30: Jacqueline et Jean à Paris, Marc dans la ville de Lyon. Ils s’appelaient Milecki, Sledzianovski, Schwartz. Leurs familles polonaises avaient migré en France dans le premier quart du 20ème siècle, fuyant comme tant d’autres à l’époque la misère, les persécutions, les pogroms, les ghettos, les épidémies…

Leurs parents sans fortune étaient devenus tailleurs. A Paris ils fréquentaient le Marais.

Ces trois enfants ne se connaissaient pas. La guerre allait leur donner un destin proche: du haut de leurs 7-9 ans, ils devinrent tous les 3 les proies à traquer d’un régime fou de haine qui les contraignit à entrer en clandestinité seuls ou avec leurs proches pour échapper à la déportation et aux gaz. Tant d’enfants plus petits ou plus grands furent contraints au même sort. On les mit sur les routes, dans des trains, sur des charrettes. On leur intima d’oublier leurs noms, leurs prénoms, leur passé. Certains en oublièrent leur langue. Ils se retrouvèrent en institutions laïques ou religieuses, durent s’acquitter de prières chrétiennes. On les plaça dans des maisons d’enfants, dans des fermes. Ils furent parfois privés d’école. Souvent citadins ils découvraient un nouvel univers dont ils n’avaient pas les codes: le monde rural. Il fallait s’adapter. Des familles rémunérées s’occupaient d’eux, parfois sans entrain, là les enfants se sentirent très malheureux, parfois avec un vrai amour. Ceux là risquèrent leur vie pour les sauver et devinrent ceux qu’on appela Justes. Leur maison, leur affection furent un bienveillant refuge avec lequel souvent les enfants restèrent en lien longtemps après la guerre. Parfois durant leur vie entière. 

 

Quand les vents mauvais cessèrent de souffler sur l’Europe, on intima à tous ces enfants qui avaient eu la chance d’en réchapper de taire leurs souffrances. Se plaindre était déplacé. Tant d’autres étaient morts dans des conditions atroces. Quasi inexistantes furent les familles totalement épargnées. Jacqueline, Jean et Marc gardèrent donc en eux le chagrin de l’enfance dérobée avec son lot d traumatismes et d’empêchements. Ils devinrent bien tardivement eux aussi les victimes reconnues de la Shoah. Une association ds enfants cachés fut créée en 1990. L’Allemagne leur proposa une indemnisation en guise de reconnaissance du préjudice moral, physique, social subi.

 

A force d’images, de musique, de fils, de boutons, de lumières, de volumes, l’installation présente fait relais: elle redonne la parole à ces enfants cachés qui en furent privés, elle les laisse être les guides de leur propre histoire, cousue au fil rouge dans les cahiers de la transmission. Les entourer du corbeau et du renard, de la chèvre et des biquets, des 3 petits cochons… c’est ici symboliquement leur rendre la part d’enfance spoliée.

 

En tombant le masque à la fin du chaos, il a fallu pour ces enfants revenir à la vie, se réidentifier. Retisser le temps, récupérer le fil de l’histoire interrompue, relancer la machine à vivre sans crainte.

 

« On voulait vivre, vivre! « , dit Marc.

 

Ainsi ces petits d’homme aux histoires douloureuses seraient-ils là comme des éclaireurs nous montrant notre possible capacité à résister.

 

 

Marie AUGER, avril 2016